
En voyageant à travers Java ou Bali, vous avez sûrement entendu le mot “Gamelan”. Plus encore, vous avez surement entendu de la musique “Gamelan” sans en connaître le nom. Cette musique est la bande originale d’un séjour en Indonésie comme la salsa l’est à Cuba. Même sans vous rendre à un concert, vous pouvez entendre cette musique dans les rizières d’Ubud, dans les haut-parleurs des restaurants de Java, dans la rue, aux feux rouges. L’essence du Gamelan est à la base même de la culture javanaise et balinaise.
Qu’est-ce que le Gamelan?
Le Gamelan est un ensemble musical traditionnel originaire de Java et Bali. Le nom “Gamelan” est utilisé pour parler de la musique jouée, alors qu’il désigne en fait le nom de l’orchestre, l’ensemble des instruments. Le mot vient de gambel qui signifie “frapper” en javanais. Ça tombe sous le sens pour quiconque a déjà assisté à une représentation à Bali ou Yogyakarta: la musique consiste principalement en une addition de percussions. Les instruments sont majoritairement faits de cuivre, et pour les plus petits ensembles de fer, qui est moins cher. Au rang des instruments, on peut citer le kendang (batterie), le rebab (violon), la suling (flûte de bambou). Un ensemble a aussi habituellement un ou une chanteuse.
Le Gamelan, au-delà de Bali et Java
Si l’utilisation des instruments cités plus haut se retrouve dans d’autres régions d’Indonésie, le Gamelan à proprement parlé fait référence à la musique de l’Est et du Centre de Java (gamelan javanais), de l’Ouest de Java (gamelan soundanais) et de Bali (gamelan balinais). Les ensembles musicaux vont de 4-5 personnes à 40 personnes et plus pour les ensembles royaux. La musique est jouée dans un Pendhapa, sorte de pavillon de plein air, abrité de la pluie par un toit en tuiles. Les musiciens sont assis à même le sol, près de l’instrument qu’ils jouent, habillés en costumes traditionnels.
Le Gamelan et la communauté
Dans un orchestre classique chaque musicien vient au concert avec son instrument, sauf bien sûr pour les instruments lourds (pianos, harpes, etc…). A l’inverse, les instruments du Gamelan sont indissociables. Ils ne quittent pas le lieu du concert, chaque musicien laissant son instrument en l’état à la fin de la représentation. C’est du en partie au poids des instruments, mais surtout au fait que les répétitions se font toujours en groupe, avec l’ensemble des autres musiciens. Ce trait collectiviste, propre à la culture indonésienne, se retrouve dans la pratique du Gamelan. Par ailleurs, les instruments sont assez chers, leur achat est donc souvent le fait de communautés, d’institutions éducatives ou de médias. Enfin, les instruments étant fait en bronze, leur durée de vie dépasse largement celles de ceux qui en jouent. Chaque génération utilise et entretient ainsi les instruments avant de les passer à la génération suivante.
Les performances de Gamelan
Les performances ont rarement lieu seules. Elles accompagnent le plus souvent une représentation théâtrale, de danse, de marionnettes (wayang kulit), ou marquent un rituel ou un événement important. La musique est par exemple jouée quand le Sultan entre ou sort d’une pièce de son palais (Kraton).
Travailler son oreille d’Occidental
La structure de la musique varie considérablement entre Java-Ouest, Java-Centre et Bali. Les seules similarités viennent des sons produits par les instruments. Le Gamelan utilise des gammes différentes de celles de la musique “standard” occidentale: le Pelog et le Sendro. Nos oreilles d’Occidentaux ne sont de prime à bord pas habituées à cette musique et la première écoute peut être déroutante, voire désagréable. En soi, ça ne ressemble à rien de ce que vous avez peu entendre jusqu’ici. Il faut donc progressivement éduquer l’oreille. Vous trouverez sur YouTube différentes playlist de Gamelan. Cette compilation regroupant des influences de Bali et de l’ouest de Java offre une première approche accessible.
Les spécificités du Gamelan javanais
Bali et Java sont géographiquement proches, mais leurs musiques traditionnelles sont strictement différentes. Ces différences entre Bali l’Hindouiste et Java la Musulmane se retrouvent dans leurs arts, leurs danses, leurs langues. Alors qu’est-ce qui rend le Gamelan javanais si différent de celui de son voisin?
La colotomie
Le terme colotomie ou structure “colotomique” ressemble à un terme médical, mais je vous assure que ça n’a rien à voir avec votre système digestif. On doit à l’éthno-musicologue hollandais Jaap Kunst l’invention de ce mot. Il désigne la structure de la musique indonésienne.
Le Gamelan est une musique cyclique. Imaginez une pendule ronde. Un gros Gong vient ponctuer chaque cycle (toutes les heures en moyenne). Chaque cycle est lui-même divisé en de plus petits cycles, chaque instrument ayant son propre cycle.
Irama… ou pas?
Irama est souvent assimilé au tempo dans la musique indonésienne. Certains préfèrent parler de densité rythmique. Les définitions restent assez vagues. Beaucoup d’Indonésiens vous diront que cette notion ne s’explique pas. Elle se ressent…ou pas. Voilà ma définition préférée: imaginez un morceau de gamelan javanais comme un élastique ou la corde d’un archer. Il y a au départ une certaine longueur, et durant la durée de l’exercice cette longueur peut être multiplier par deux ou trois. Le début et la fin sont toujours identique, toujours au même endroit, même durant l’exercice la distance entre les deux peut s’agrandir.
Un morceau de gamelan javanais peut connaître différentes densités rythmiques. Même si le tempo devient extrêmement lent, certains instruments viendront combler les vides entre les notes et cette lenteur sera presque imperceptible.
Le joueur de Gong qui a parfois une long moment d’attente entre les notes peut tout à loisir aller fumer une cigarette ou boire un thé. La notion de changement de tempo, et particulièrement de tempo très, très lents est ce qui donne au gamelan javanais son son unique.
Improvisation? Quand le gamelan rencontre le jazz…
Même si on peut parler d’improvisation dans le gamelan javanais, ce n’est pas tout à fait le même genre d’improvisation que dans le jazz. Il y a beaucoup de structure musicales dans le gamelan que les débutants apprennent. À mesure qu’ils avancent dans leur apprentissage, ils peuvent commencer à développer leurs propres structures.
La manière d’appendre la musique javanaise est différente de la méthode d’apprentissage de la musique occidentale. Il n’y a pas de partition ou de solos. Les débutants apprenent une structure et comme la travailler. Ce qui fait que des musiciens qui n’ont jamais joué ensemble peuvent tout à fait se mettre d’accord sur une structure et commencer à jouer. Les instruments pourront improviser autour de cette structure pour essayer de l’améliorer. En jazz, c’est un peu différent, l’improvisation est souvent un élement à part, jouée séparement de la mélodie.
“Écrire à propos de musique c’est comme danser à propos d’architecture”.
Je ne sais plus de qui est cette citation, mais arrivé à la fin de cet article, permettez-moi de vous dire que parler de musique ne dit rien de l’expérience que c’est de la vivre. Si vous passez à Yogya ou à Bali, vous trouverez facilement du gamelan à voir et à écouter. Comme beaucoup d’autres musiques, le gamelan c’est avant tout une question de feeling (rasa en indonésien).
Vous pourrez assister à des performances de gamelan au Kraton (palais) de Yogyakarta et Solo et lors de multiples événements à travers l’île.